APOLITISME

APOLITISME
APOLITISME

Si le mot n’est apparu dans le langage qu’au XXe siècle, on peut néanmoins présumer que la réalité qu’il désigne est aussi ancienne que le phénomène politique lui-même : quand Jésus enjoignait de rendre à César ce qui appartenait à César, il prônait une certaine manière d’apolitisme.

L’apolitisme peut se définir comme la tendance, pour un ou plusieurs individus, à se mettre en marge de la réalité politique, ou, plus précisément, à se placer dans une position de neutralité par rapport au domaine politique. De prime abord homogène, cette notion recouvre une variété d’hypothèses et de situations.

En premier lieu, la tendance à l’apolitisme est susceptible de degrés. Réduit à la seule volonté de ne pas prendre parti, l’apolitisme n’est qu’une opinion. Quand la volonté se matérialise dans une attitude, l’apolitisme est un comportement. Si le comportement tend à se généraliser, l’apolitisme devient un phénomène. Cette distinction n’est pas fondamentale car, en fait, les trois démarches peuvent coïncider ou s’entremêler.

Il est donc plus intéressant de souligner, en deuxième lieu, que l’apolitisme se diversifie en fonction de ses raisons d’être. Qu’il soit volontaire ou non, idéologique ou pragmatique, tributaire de convictions religieuses ou d’obligations professionnelles, il résulte de causes suffisamment variées pour que ses implications et conséquences le soient également.

Il est cependant possible, en troisième lieu, de regrouper les divers cas d’apolitisme en deux catégories correspondant à des types de situations qui diffèrent nettement par leur nature et par leur portée. D’une part, en effet, l’apolitisme peut n’être relatif qu’à la participation à la vie, à l’action politique. C’est là sa manifestation la plus fréquente et la plus rudimentaire, comme la plus vulgaire au sens propre du terme. D’autre part, l’apolitisme peut être plus doctrinal, dépasser le niveau des comportements pour atteindre à celui des idées, lorsqu’il est relatif à la conception même de la société politique. En bref, et pour l’essentiel, il faut distinguer entre l’apolitisme dans ses rapports avec la politique, et l’apolitisme dans ses rapports avec le politique.

1. L’apolitisme et la politique

Limité à une attitude au regard de l’action politique, l’apolitisme n’affecte pas les principes et fondements d’une société politique donnée. Dans le cadre de celle-ci, il n’intéresse que les relations entre les «jeux» de la politique et les citoyens, et cela de deux façons. D’une part, il peut être une arme utilisée par les acteurs de ces jeux soucieux de tactique; il est alors, en vérité, une modalité de l’action politique. D’autre part, il peut manifester une tendance à vouloir ignorer les jeux de la politique: il n’est plus alors action, mais abstention.

L’apolitisme tactique

Souvent, notamment en France, on utilise l’apolitisme, dans un but tactique et non sans quelque hypocrisie, comme arme de combat politique. L’intention est autant de discréditer l’adversaire que d’attirer la confiance du citoyen, en s’affirmant en dehors des jeux, combinaisons et coalitions politiques. La prétention à l’apolitisme vaut promesse de progrès, de sérieux et de moralité. Hommes et partis politiques en quête de clientèle se targuent d’être en dehors des luttes politiques, de «ne pas faire de politique», et, explicitement, d’être apolitiques. Cette arme est utilisée de préférence par les conservateurs, qui n’en ont cependant pas l’exclusivité, mais elle s’émousse vite dans une société assez évoluée pour être incrédule.

La même prétention est plus subtile lorsqu’elle émane de groupes d’intérêts. Tantôt elle ne vise qu’à dissimuler une participation réelle aux jeux politiques. Tantôt elle traduit une authentique intention de neutralité à l’égard des luttes politiques : ainsi de l’apolitisme souvent affirmé par les syndicats professionnels; ce n’est pas dire que la volonté de neutralité soit toujours fidèle à elle-même, dès lors que la défense des intérêts professionnels implique une collusion avec les acteurs de la vie politique.

Il peut en résulter que le citoyen se lasse plus encore des luttes politiques, et se réfugie davantage dans un apolitisme d’abstention.

L’apolitisme d’abstention

Plusieurs raisons poussent le citoyen à se mettre à l’écart de la vie politique, à se replier dans un apolitisme souvent volontaire, mais parfois imposé.

L’ignorance des problèmes de la cité ou leur complexité, une certaine répulsion pour les spectacles de la politique, l’impossibilité d’y prendre part ou, simplement, d’y prêter attention, une paresse naturelle, ce sont là autant de causes d’une indifférence à l’action politique. Ses conséquences sont nombreuses, elles affectent la vitalité politique d’un pays (déclin du militantisme, absentéisme électoral) et facilitent l’emprise des gouvernants sur les gouvernés.

C’est pourquoi les premiers sont tentés de l’encourager, voire d’y contraindre les seconds. À l’occasion, les régimes conservateurs n’y manquent pas, sachant, avec Saint-Just, que «la langueur de l’esprit public» est le fossoyeur des énergies révolutionnaires. Plus généralement, on observe que, dans les sociétés soucieuses de stabilité et préférant l’évolution à la révolution, une obligation d’apolitisme pèse sur une catégorie de citoyens: sur les agents de l’État. Ceux-ci ne sont pas toujours contraints de s’abstenir de toute participation à la vie politique, mais il leur est interdit d’utiliser leur fonction à des fins politiques et d’en faire une arme de combat. De cet apolitisme, les manifestations sont nombreuses, allant des obligations dites de réserve et de neutralité jusqu’à la subordination des autorités militaires au pouvoir civil.

L’apolitisme d’abstention est donc un moyen de préservation de la société politique (et, plus encore, du pouvoir), par le fait même qu’il atténue la virulence d’un peuple. Mais il ne permet ce résultat que dans la mesure où il reste confiné au niveau de l’action politique exercée dans le cadre d’une société dont les fondements et principes ne sont pas remis en question. En revanche, s’il dépasse la seule politique pour atteindre au niveau du politique, s’il est relatif à la conception même de la société politique, il devient un moyen de contestation.

2. L’apolitisme et le politique

L’apolitisme de contestation est idéologique. Il réunit des conceptions, différentes certes, mais comparables en ce qu’elles consistent à refuser l’ordre politique existant pour lui en substituer un autre. Il est ici possible de distinguer deux degrés, selon que la contestation est dépourvue ou non d’objectifs révolutionnaires.

L’apolitisme théologique

La contestation non révolutionnaire du politique est apparue, de longue date, dans l’apolitisme religieux, chrétien ou autre. La distinction augustinienne entre les deux cités, celle de Dieu et celle des hommes, en est une manifestation très nette. Par exigence morale et spirituelle, l’homme refuse d’être impliqué dans un ordre politique contestable. Mais ce faisant, au nom des convictions et des impératifs spirituels et dans le but de réformer l’ordre politique, il se contraint inévitablement à la résistance, voire au combat. Les guerres européennes de religion ont amplement montré les difficultés d’un apolitisme voulant se réduire à la seule désapprobation, mais débouchant, malgré lui, sur le renversement de l’ordre politique pour la réforme de la société.

L’apolitisme technocratique

La volonté de rénovation (et non de révolution) anime aussi l’apolitisme technocratique refusant le politique à raison de son inefficacité. Le technocrate tourne le dos au politique parce que (et dans la mesure où) celui-ci est vicié par son caractère irrationnel et par des conduites relevant plus de l’art que de la science. Son apolitisme, dérivé du mépris pour l’ordre politique, vise à réformer celui-ci en le transformant en un ensemble de techniques mises en œuvre par des spécialistes. Platon voulant des «gardiens» de la cité qui soient compétents. Saint-Simon souhaitant une «administration des choses» par une armée d’ingénieurs, et Burnham annonçant l’«ère des organisateurs» sont les porte-parole d’une tendance qui, sous couvert d’apolitisme, vise, comme la précédente, à transformer l’ordre politique existant.

L’apolitisme anarchiste et marxiste

Mais la contestation peut être plus forte et la volonté de rénovation plus nette encore, lorsque l’apolitisme débouche sur la révolution dont il n’est, somme toute, qu’une phase préliminaire.

Ce deuxième degré de l’apolitisme de contestation apparaît dans certains courants de la pensée socialiste: l’anarchisme et le marxisme.

Avec d’autres anarchistes, Proudhon dénonça le caractère illusoire des institutions et des mécanismes de l’ordre démocratique traditionnel. Il exhorta les individus à n’y point participer, mais à porter leurs efforts vers l’instauration d’une société d’un type nouveau, sans État ni pouvoir, et donc radicalement apolitique.

De même, Marx et ses premiers émules, ainsi que Lénine, ont, à la différence des socialistes dits réformistes, proclamé la nécessité de se dégager de la société bourgeoise afin de fonder une société révolutionnaire. Le prolétariat doit donc refuser de se lier au fait politique qu’est la société bourgeoise faussement démocratique. Dans cette perspective, l’apolitisme est le premier moment d’un processus révolutionnaire devant conduire au renversement d’un ordre politique et à son remplacement par un ordre apolitique, puisque la future société communiste et sans classes devait être sans pouvoir ni État.

L’apolitisme est donc, en définitive, aussi nuancé que peuvent être variées les raisons qu’a l’homme de s’écarter du fait politique.

apolitisme [ apɔlitism ] n. m.
• 1933; de apolitique
Caractère, attitude apolitique. Partisans de l'apolitisme syndical.

apolitisme nom masculin Refus de tout engagement politique, à partir de motivations ou de justifications diverses.

apolitisme [apɔlitism] n. m.
ÉTYM. 1933; de apolitique.
Caractère, attitude apolitique. || Partisans de l'apolitisme syndical.
0 Dire qu'on ne fait pas de politique, c'est encore faire de la politique. Les aspirants dirigeants qui ne préconisent point de modification au régime qui les encadre désirent simplement y faire carrière en paix. Implicitement, ils partagent l'idéologie du régime que leur absence de parti consolide. L'apolitisme est donc souvent une position politique comme une autre.
Gaston Bouthoul, Sociologie de la politique, p. 95.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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